#CrueSeine: Note sur l’organisation de l’interaction et l’ouverture des espaces conversationnels sur les réseaux sociaux
Une question suite à une simple observation de ma timeline Facebook a initié cette recherche hier matin :
Pourquoi je ne vois pas les images de la crue de la Seine dans ma timeline Facebook ?
En général, les phénomènes météorologiques sont une occasion génératrice d’activité photographique sur les médias sociaux, la première neige (André Gunthert, 2013 ; Nathan Jurgenson, 2015) ou les cerisiers printaniers, sont des moments pour un groupe habitant la même zone géographique d’accueillir les changements saisonniers par le partage d’une expérience collective relayée sur les réseaux sociaux.
Cependant, lors des périodes de fortes pluies ou des inondations, qui touchent des pays européens depuis trois jours, la publication de photographies ou de vidéos semblent ne pas être aussi visibles sur les réseaux amicaux.
Hypothétiquement, sur l’échelle des événements météorologiques extraordinaires, la pluie n’est probablement pas considérée aussi hors du commun que la neige. En tout cas, dans l’espace privé de ma timeline j’ai constaté très peu de publications visuelles exprimant la tombée continue de la pluie. Les photographies personnelles du mauvais temps étaient quasi absentes, substituées plutôt par les GIFs, qui étaient partagés pour exprimer l’humeur, souvent de l’ennui face à la pluie incessante, que le mouvement répétitif en boucle du GIF reproduit efficacement sur les écrans. Encore peu était l’activité textuelle et paratextuelle de ces publications.
Les GIFs sur l’espace privé de ma timeline Facebook
Les images professionnelles: un espace conversationnel public
Dans l’espace public de ma timeline, la page publicitaire du compte My Little Paris (site web d’actualités et médias) a alimenté son journal avec des GIFs aussi bien que des photographies artistiques, accompagnées d’une citation cinématographique. La mobilisation de cette imagerie rappelant à la communauté de la beauté de la ville et de la vie parisienne, laisse voir une stratégie d’animer la communauté par la diffusion d’une imagerie esthétique. Le pari des community managers à détourner le mauvais temps est gagné par la publication d’une imagerie attirante, le dessin stylisé de Kanako, la photo en noir et blanc. Ces publications réussissent à générer une activité textuelle et paratextuelle.
La page My Little Paris sur Facebook
- Publication du 29/05/2016 sur la page de My Little Paris. Lien: https://www.facebook.com/mylittleparis/posts/10157107425485045:0
- Publication du 30/05/2016 sur la page de My Little Paris. Dessin de Kanako. Lien https://www.facebook.com/mylittleparis/posts/10157118027545045:0
- Publication du 30/05/2016 sur la page de My Little Paris. Lien https://www.facebook.com/mylittleparis/videos/10157118511950045/
- Publication du 31/05/2016 sur la page de My Little Paris. Lien https://www.facebook.com/mylittleparis/posts/10157121359345045:0
Paires adjacentes: publiciser des relations privées
La lecture des commentaires laissés en réponse à ces publications évocatrices montre deux dynamiques conversationnelles : la première se fabrique autour des remarques générales qui évoquent des souvenirs, le partage d’actualités par les commentateurs. La deuxième dynamique conversationnelle se constitue des paires adjacentes plus petites, souvent initiées par l’identification du nom de l’interlocuteur dans l’énoncé. Ici sont partagés des blagues, des clins d’oeils qui sont ponctués par des émojis : des parapluies, de petits coeurs adressés aux amis. Cette ponctuation affective par les émojis aide à publiciser des relations privées dans l’espace public et conversationnel sur Facebook.
- Paire adjacente_1
- Paire adjacente_2
- Paire adjacente_3
- Paire adjacente_4
Si la photo personnelle, partagée pour alerter et prévenir des préparatifs de secours et d’évacuation en cas d’inondation, intervient rarement sur la timeline Facebook, elle est abondamment publiée sur Twitter.
La crue de la Seine sur Twitter: l’information ne se discute pas
Pour la région parisienne le hashtag #CrueSeine rassemble une collection de photographies et quelques vidéos publiées par les riverains depuis le 31 mai. Le suivi en temps réel des publications sous ce hashtag aujourd’hui entre 9h30 et 16h permet de comprendre comment les individus photographient et diffusent la crue en tant qu’événement disruptif de la vie quotidienne.
Deux thèmes importants ressortent du cadrage et de la légende associée à cette activité photographique pas loin de la pratique du journalisme citoyen : les noms des ponts et le zouave du pont de l’Alma. Presque toutes les publications photographiques sont géolocalisées et indiquent les noms des ponts les plus touchés. L’absence du filtre pour enjoliver les couleurs, un choix qui aurait pu réduire le bruit et ressortir le paysage, laisse entendre que l’intention des photographes était motivée pour informer immédiatement sur le lieu de l’événement. De même, la composition simple, soit un gros plan, soit un zoom sur les ponts privilégie la fonction informationnelle de ces images.
Le zouave du pont de l’Alma
- Twitter, 1/6/2016. Lien https://twitter.com/A77_bibi
- Twitter, 1/6/2016. Lien https://twitter.com/FabianRODES/status/737716621742071808
- Twitter, 1/6/2016. Lien https://twitter.com/Mayane34000/status/737893926997262338
- Twitter, 1/6/2016. Lien https://twitter.com/IsabelleAudin/status/737920916995313664
Les ponts de la Seine
- Twitter, 1/6/2016. Lien https://twitter.com/IsabelleAudin/status/737914798281793536
- Twitter, 1/6/2016. Lien https://twitter.com/TacTac_/status/737667745010077697
- Twitter, 31/5/2016. Lien https://twitter.com/HenryMoncany/status/737618719459835904
A l’inverse des photos de la première neige ou du temps des cerisiers, des événements saisonniers avec un fort potentiel à générer l’activité photographique et conversationnelle sur les réseaux d’affinités, notamment Instagram et Facebook, les photographies informationnelles sur Twitter n’ouvrent guère l’espace d’échange. Dans ce cas, il semblerait que l’information se partage, mais elle ne se discute pas.
Pour répondre à ma question au sujet de l’absence des photographies personnelles d’inondations, du mauvais temps et de la crue de la Seine sur Facebook, un réseau plutôt amical, il semblerait juste à avancer que le faible potentiel photogénique des ces images sombres, montrant des dégâts et donc une perte de contrôle les relèguent à l’espace informationnel de Twitter.
A l’ère de la gestion algorithmique de l’interaction sociale sur les plateformes communautaires, le partage des images, fixes et animées, personnelles et professionnelles, se fait par l’initiative des individus. Certes, la visibilité de ces publications visuelles peut variée selon les paramètres choisis par les individus ou imposés par le design de l’interface. Mais le rôle de ces productions à ouvrir les espaces conversationnels sur les médias sociaux et les dynamiques conversationnelles qui y émergent dépendent fortement de la forme du réseau social et des règles tacites des communautés, qui privilégient les images météorologiques plutôt esthétiques et esthétisées, comme embrayeurs d’interaction entre amis.
MàJ
La montée en publications des photographies du zouave sur Twitter
Francetv.info, “paris a les pieds dans l’eau
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Je remercie Olivier Beuvelet et Jonathan Larcher pour leur concours
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